Ce composé chimique de formule TiO₂, jugé trop dangereux pour l’alimentation, va pourtant rester autorisé dans les médicaments en Europe.
Le dioxyde de titane illustre un étrange paradoxe européen. Cette poudre blanche inodore, largement utilisée comme pigment en raison de ses propriétés de blanchiment et d’opacité, va continuer d’être autorisée dans les médicaments sous sa forme nanoparticulaire E171.
Cette même substance, prisée par les industries pharmaceutique et cosmétique, est pourtant interdite dans l’alimentation depuis 2022, suite à une expertise de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA).
L’EFSA avait en effet conclu que la génotoxicité des nanoparticules de TiO₂ ne pouvait être écartée et que celles-ci étaient « susceptibles de s’accumuler dans l’organisme » après ingestion. Cette toxicité pour l’ADN est d’autant plus préoccupante qu’aucun seuil de sécurité n’a pu être établi.
Cette décision de maintenir l’autorisation du E171 dans les médicaments fait suite à la déclassification du dioxyde de titane lui-même en tant que substance cancérigène par la justice européenne, intervenue quelques jours plus tôt début août.
Un système d’évaluation sous pression ?
L’Agence européenne des médicaments, sur laquelle s’est appuyée la Commission européenne, a rendu un avis pour le moins controversé.
Selon l’association Avicenn, spécialisée dans la veille sur les nanomatériaux citée par Le Monde, ce rapport « reprend à son compte l’argumentaire déployé par l’industrie pharmaceutique » dans un document de 569 pages présentant le E171 comme « indispensable à la sûreté et l’efficacité des médicaments ».
Mais surtout, la Commission européenne reconnaît elle-même que ses conclusions reposent sur « l’ensemble limité de données fournies par le consortium industriel et non sur un examen complet par l’EMA de toutes les données disponibles ».
Cette reconnaissance d’une évaluation incomplète interroge sur la rigueur du processus décisionnel européen lorsque des intérêts économiques majeurs sont en jeu. L’industrie pharmaceutique a d’ailleurs fait valoir que certains médicaments essentiels pourraient disparaître temporairement du marché, créant des pénuries potentiellement dangereuses pour les patients.
Quelle régulation européenne en définitive ?
Cette argumentation économique masque-t-elle une réticence à investir dans des alternatives plus sûres ? Plusieurs experts pointent du doigt le manque de recherche dans ce domaine.
Cette situation interroge sur la cohérence de la politique de santé publique européenne. Comment justifier qu’une même substance soit jugée trop dangereuse pour être consommée, mais acceptable pour être inhalée ou absorbée par voie cutanée ?
La France, qui avait initié la procédure de classification cancérogène, se retrouve aujourd’hui désarmée face à ces décisions européennes. Paris avait pourtant été précurseur en interdisant le dioxyde de titane dans l’alimentation dès 2020, deux ans avant l’Union européenne.
« Toute une série de mesures réglementaires de protection des travailleurs, ou encore d’étiquetage des produits contenant des nanoparticules de TiO2 vont ainsi disparaître. C’est une décision de justice qui met la santé publique en danger », regrette Natacha Cingotti, chargée des stratégies de campagne à Foodwatch, interrogée par Le Monde.